Les 3 tendances du marché de l’immobilier tertiaire depuis la crise sanitaire : sélectivité, résilience des régions & changement de perception de l’usage des bureaux.
Si elles n’en sont pas à l’origine, les périodes successives de confinement ont accéléré des évolutions de nos modes de vie, vouées à s’inscrire dans la durée. Il en résulte des mutations en cours dans l’approche des utilisateurs, des investisseurs et des opérateurs à l’égard de l’immobilier d’entreprise. Certaines sont exacerbées par la période de crise, d’autres semblent correspondre à une évolution plus profonde de la société. Voici selon nous quelques tendances à prendre en compte lorsque l’on analyse les facteurs de valorisation d’un actif tertiaire dans ce contexte bouleversé.
Un premier mouvement d’ordre conjoncturel : la frilosité du marché entraîne une plus forte sélectivité.
La secousse économique, la généralisation du télétravail et la chute spectaculaire de la demande de bureaux pendant la pandémie ont pour effet un resserrement du marché de l’investissement sur un segment réduit et sélectif d’actifs immobiliers. Les incertitudes et inquiétudes générées par la conjoncture conduisent les investisseurs à sécuriser leurs investissements. Ce réflexe, conjoncturel, tend à renforcer plus encore la prime à l’attractivité de l’immeuble mesuré traditionnellement par son emplacement et ses qualités techniques. Mais il rend tout aussi essentielle l’analyse de la sécurité offerte par le bail et le locataire : durée ferme mais également solvabilité financière.
1ère conséquence tangible : la baisse du marché de l’investissement en période de crise et la hausse du taux de vacance sur la plupart des marchés n’entrainent aucunement de hausse des taux prime, au contraire.
La concurrence fait toujours rage sur les cibles privilégiées par les investisseurs institutionnels. Dans le même temps, l’appréciation des prix de vente des immeubles les moins attractifs par déclinaison de ces références prime, perd en pertinence. Enfin les arbitrages des investisseurs semblent désormais privilégier la maîtrise du risque locatif quelle que soit la nature même de l’actif, et l’immobilier tertiaire se trouve en concurrence avec les locaux de production, les résidences gérées, et, bien sûr, les portefeuilles logistiques. L’attention particulière donnée à la solvabilité des locataires, accélère en revanche le repli des investissements en commerces, dont les exploitants ont certainement été les plus durement touchés par les fermetures lors des confinements successifs.
Un mouvement de fond aux racines plus anciennes : la résilience des marchés régionaux
Le marché tertiaire d’Ile de France a été un peu plus impacté par la crise sanitaire tandis que les régions prennent une part chaque année plus importante dans le volume des transactions. Il est à noter que les villes dont le marché s’est le plus sensiblement ralentit en 2020, avec des marchés transactionnels en baisse de 47 à 54 % par rapport à l’exercice précédent, sont précisément les métropoles dont le secteur tertiaire avait le plus progressé au cours de ces 15 dernières années. Il s’agit ici de Bordeaux dont le volume de transaction a plus que doublé entre 2005 et 2020 ; Rennes, Lille, Lyon ou encore Toulouse dont le décrochage semble surtout lié à son économie très orientée vers l’aéronautique.
Ceci peut être mis en relation avec la chute importante de la demande en grandes surfaces en 2020, alors qu’elle est restée active sur le créneau des surfaces inférieures à 1.000 m², émanant de PME qui constituent l’essentiel du tissu économique des territoires.
Le phénomène de métropolisation et d’attraction de quelques grandes métropoles régionales est susceptibles de s’ancrer dans la durée dès lors que la recherche de qualité de vie des salariés se trouve en adéquation avec les nouvelles possibilités offertes par la généralisation des nouvelles méthodes de travail.
L’implantation géographique des bureaux perd en importance dès lors que le temps de présence s’y réduit au plus à quelques jours par semaine. L’émergence de tiers lieux, au plus près des lieux de vie des salariés, serait en cohérence avec les possibilités technologiques et la prise de conscience des exigences écologiques dont les entreprises commencent à se faire le relai.
De nouvelles interrogations se dessinent qui pourraient impacter la répartition dans l’espace des implantations tertiaires, qu’il convient de suivre au plus près, mais qui ne semblent pas encore tranchées dans nombre de conseil d’administration.
La perception de l’usage des bureaux sort profondément modifiée de la crise sanitaire
La rapidité avec laquelle les entreprises ont dû adapter leur outil informatique et organiser le travail en distanciel laissera des traces dans le monde d’après. Les nouvelles méthodes de travail ont ouvert le champ des possibles et confèrent ainsi plus de pertinence aux locaux à usage de bureaux comme lieu d’échange et de coopération facilitant l’intelligence collective. Les bureaux individuels avec cloisons fixes de part et d’autre d’un étroit dégagement ne répondent plus réellement à cette perspective. Cette évolution de la perception de l’espace de travail impose au contraire de la modularité et du confort. On peut donc s’inquiéter quant à la liquidité des immeubles de conception ancienne, à vocation administrative, archétype des générations 1970-1990, dont nos parcs tertiaires sont largement constitués, et qui ne devraient plus rencontrer qu’un public de plus en plus étroit.
Cette mutation aura comme effet accélérateur, pour les surfaces supérieures à 1.000 m², le coût induit par le Décret tertiaire qui impose des travaux visant à améliorer la performance énergétique.
La sélectivité que nous évoquions chez les investisseurs pourrait se trouver ainsi pris dans une spirale, délaissant les immeubles les plus anciens car ne répondant plus aux exigences des utilisateurs, lesquels immeubles n’abritant par ailleurs plus les occupants les plus sécurisants pour les bailleurs.
Olivier JOUVE
Directeur des Régions
BNP Paribas Real Estate Expertise